Après la Libye, pourquoi pas le Bahreïn ou la Palestine ?

kadhafi_sarkozy_recontre_2007.jpgVotée par le Conseil de Sécurité de l'ONU le 17 mars, la résolution 1973 soumise par la France, la Grande-Bretagne et le Liban autorise la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne. Les États membres sont autorisés « à prendre toutes mesures nécessaires [pour] protéger les populations et les zones civiles menacées d'attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit ». Pas d'intervention au sol donc, mais des bombardements ciblés. La France est en tête de proue du dispositif militaire. Un bon moyen pour faire la promotion de ses Rafales qui ne se vendent pas.

« Le président [Sarkozy] a pris la tête de la croisade
» selon les dires de Claude Guéant. Cette épopée chevaleresque est pleine d'héroïsme, mais combien cela va couter au contribuable ? Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques, estime la mise en place de cette zone d'exclusion aérienne entre 150 et 250 millions d'euros, s'il n'y a pas d'enlisement du conflit... En ces temps de rigueur, il est étonnant de voir ce genre de dépense. Mais compte tenu de la situation sur place, les tergiversations pécuniaires n'ont pas lieu d'être.

Civils, vous avez dit civils ?

La révolte en Libye est un peu différente de celle en Tunisie ou en Égypte, du moins dans la façon dont le pays est dirigé. Kadhafi est arrivé au pouvoir en 1969 après un coup d'État. Il est passé d'une phase progressiste et socialiste - Il a soutenu le mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud, aide l'Angola et la Namibie à accéder à l'indépendance - à une autre phase plus dictatoriale et libérale ces dernières années. Kadhafi se sentait menacé après l'attaque étatsunienne en Irak : « On vient de pendre un membre de cette ligue et vous [la ligue arabe] n'avez rien dit. Mais ça peut vous arriver aussi, car, si vous êtes tous des alliés des États-Unis, Saddam l'était aussi autrefois ». Il a alors fait volte-face et est devenu un partenaire des pays occidentaux notamment dans la lutte contre l'immigration avec l'Italie ou pour l'achat d'armes avec la France. Anthony Blair voyait en lui en 2004 un « un solide partenaire de l'Occident ». Kadhafi n'est ni Ben Ali ni Moubarak, son instabilité en fait un partenaire peu fiable.

Dans les rangs des insurgés, outre des civils, des militants pour les droits de l'Homme, des intellectuels, de courants tribaux et de forces islamiques plus ou moins modérées, il y a aussi des combattants d'expérience solidement armés. Le think tank Combating Terrorism Center rapporte que de nombreux combattants de la zone des rebelles ont été en Irak ou en Afghanistan combattre contre les États-Unis. Selon l'Asian Tribune, les activités des Libyens de l'est, la région de Benghazi, sont connus des services de renseignements étatsuniens.

Cependant, il est difficile de dire si l'on est en présence d'une révolte pacifique ou d'une révolte de combattants armés. Sans connaitre le nombre de rebelles armés, on ne pas dire que l'on soit en présence d'un massacre de civils. Dans ce conflit nous devons être méfiants entre un despote prêt à tout pour garder le pouvoir et les pays de la coalition habitués à nous faire croire ce qu'ils veulent pourvu que cela serve leurs intérêts. Rappelons-nous de l'Irak et des armes de destruction massive imaginée ou du Kosovo et de ses soi-disant 100.000 civils massacrés qui n'ont jamais été retrouvés.

La région de Benghazi est aussi l'endroit du continent africain le plus proche de l'Europe. Le flux migratoire y était très important jusqu'à ce que le gouvernement de Kadhafi et l'Italie le contrôle — C'est sans doute la raison pour laquelle le FN était le seul parti français contre l'intervention militaire. Les attaques racistes contre les Africains noirs sont très fréquentes. Pour les médias, il s'agit d'une confusion avec les mercenaires engagés par Kadhafi... C'est aussi une région où sévissent des groupes extrémistes dont certains sont affiliés à Al Qaeda. Lorsque Kadhafi disait que les rebelles étaient liés au groupe de Ben Laden, il y avait une part de vérité...

Devions-nous intervenir dans cette guerre civile ?


Avant de prendre la décision d'attaquer, le prédit vénézuélien Hugo Chavez — qui entretient de bonnes relations avec Kadhafi — proposait de mettre en place une « mission de médiation internationale formée de représentants de pays d'Amérique latine, d'Europe et du Moyen-Orient pour tenter de négocier une issue entre le pouvoir libyen et les forces rebelles » que la Ligue arabe avait acceptée ainsi que l'Organisation de l'Unité Africaine et Kadhafi lui-même. Mais une fois de plus l'Europe et les États-Unis se sont comportés comme s'ils étaient les seuls aptes à prendre des décisions et ont refusé l'offre. On peut donc douter des intentions occidentales. Depuis deux siècles, « à chaque fois qu'il y a eu des interventions pour la démocratie, ce qui a été semé c'est le nationalisme et la haine » disait Rony Brauman, médecin humanitaire dans l'émission ce soir ou jamais diffusée sur France 3 le 21 mars 2011. Pourquoi cela changerait-il subitement ? La question du pétrole n'est pas à omettre puisque 90 % de l'or noir en Libye est acheminé en Europe. Actuellement, c'est la Compagnie pétrolière nationale de Libye qui gère. Sa privatisation arangerait bien les affaires de Total (France), ENI (Italie), China National Petroleum Corp, British Petroleum (Grande-Bretagne), Repsol (Espagne), ExxonMobil, Chevron, Occidental Petroleum, Hess et Conoco Phillips (Etats-Unis) déjà bénéficiaire du pétrôle libyen, mais contrôlé par l'Etat.

Maintenant que l'opération militaire est lancée, la propagande médiatique est à son comble. Du côté de la coalition internationale, tous se passent bien alors que du côté de Kadhafi, il y aurait des victimes civiles. La Ligue arabe estime que certains bombardements de la coalition ne respectent pas le cadre strict d'imposer une zone d'exclusion aérienne. La France a aussitôt démenti. On saura vraiment ce qui s'est passé lorsque la situation sera établie. Au lieu de « protéger les populations et les zones civiles », le but recherché semble plutôt être un changement de régime.

Il n'y a plus qu'à espérer que ce conflit se termine au plus vite et que le peuple libyen devienne souverain.

Deux poids, deux mesures


Si comme on nous le prétend l'entrée en guerre contre la Libye a un but humanitaire - excusé moi pour cet oxymore - pourquoi n'interviendrait-on pas également au Bahreïn ? Comme en Libye, le Royaume de Bahreïn subit une contre-révolte. Dans ce petit pays du golf persique, les manifestations pacifiques sont réprimées. La famille royale d'Al Khalifa règne de façon autoritaire et s'approprie les richesses du pays. Alors que la majorité de la population est chiite, le pouvoir sunnite les réprouve. Les révoltes tunisienne et égyptienne ont déclenché un mouvement de protestation pacifique dans le pays. Le 15 mars 2011, le roi Hamad al-Khalifa a décrété la loi martiale pour une durée de trois mois permettant à la police d'employer la force contre la population. Les 1500 soldats des Émirats Arabes Unis et de l'Arabie Saoudite arrivés la veille ont dès le 16 mars commencé à réprimander les manifestants avec un arsenal important contre des individus désarmés : tirs à balles réelles, tanks, véhicules blindés. Les ambulances et les hôpitaux sont attaqués pour les empêcher de secourir les blessés et les quartiers chiites sont attaqués. Devant cette répression, des appels à l'unité entre chiites et sunnites ont été demandés par les manifestants.

Pendant ce temps, que fait la communauté internationale — terme qui ne représente pas les opinions des pays de la planète, mais des pays occidentaux ? Rien. Alors qu'en toute illégalité un pays fait appel à une force étrangère pour réprimer son peuple, personne ne bouge. La résolution 1973 de l'ONU quant à elle est illégale, puisque le conflit libyen était interne et donc aucune force étrangère n'a le droit d'intervenir. Au Bahreïn en revanche, il s’agit bien d'une infraction des lois internationales, puisqu'il y a invasion d'une force étrangère.

Cette omerta s'explique par la stabilité du régime de la famille royale d'Al Khalifa. En effet, comme ceux de Ben Ali et de Moubarak, c'est un gouvernement fantoche qui répond aux exigences des États-Unis. La proximité avec l'Iran inquiète les États-Unis, car si la famille royale venait à tomber, ils craignent un rapprochement avec le pays des mollahs. C'est pour cela que le statu quo au Barhein leur convient quitte à fermer les yeux sur la répression.

On peut aussi faire une comparaison avec le conflit Israelo palestinien. Lorsqu’Israël a bombardé la Bande de Gaza en 2008, lors de l'opération "Plomb durci", afin de stopper les tirs de roquette du Hamas sur le territoire israélien. Une réaction qualifiée par de nombreux observateurs comme disproportionnés : 1315 morts du côté palestiniens, 13 du côté israélien. Un véritable massacre qui a duré 22 jours et où aucun pays n'a agi pour le stopper, mis à part des demandes de cesser le feu.

Pourquoi le traitement entre Israël et la Libye est-il si différent, d'autant que ce n'est pas la première fois qu'Israël enfreint les lois internationales ?

J'en profite pour signaler que les violences ont repris entre le Hamas et Israël ces derniers jours. L'armée israélienne, « la plus morale du monde » selon Bernard-Henry Levy, a bombardé la Bande de Gaza blessant des civils, en représailles de tirs de roquette du Hamas.

Photo : Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi à Paris le 10 décembre 2007 (STEVENS FREDERIC/CHESNOT/SIPA)
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