Les dissimulateurs : la véritable affaire Clearstream de Denis Robert et de Pascal Lorent

Les dissimulateurs : la véritable affaire Clearstream
Denis Robert révèle les pratiques maffieuses des mondes économique et politique.

L’affaire Cleastream 2 est revenue sur le devant de la scène il y a quelques semaines. Un sacré numéro de gaudriole de la part des médias. Cette querelle « peopolisée » entre Sarkozy et De Vilepin a réussi son coup : se détourner de la véritable affaire Clearstream. Un peu avant ce retour médiatique, le journaliste indépendant Denis Robert, a été définitivement blanchi le 3 février 2011 par la Cour de cassation. Il avait osé mettre son nez dans une société financière obscure : Clearstream. Il lui a découvert un rôle fondamental pour la finance mondiale : des milliers de transactions traçables passent par cette entité luxembourgeoise.

Évidemment, quand ils ont vu qu’il mettait son nez un peu trop loin, les dirigeants de Cleartstream ont fait appel à la machine judiciaire. Robert a reçu la visite de 70 huissiers et l’objet de 60 procès. Ces livres ont même été interdits. Il peut désormais à nouveau les publier grâce à la décision de la Cour de cassation.

Denis Robert revenant sur l’affaire et sur la décision de la Cour de cassation :

Voici les résumés de deux de ses documentaires. Le premier, sortis en 2001, « les dissimulateurs », explique le fonctionnement de Clearstream. Le second documentaire, sorti en 2002, « L’affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo » retrace les péripéties de l’affaire durant l’année qui a suivi ces révélations.

Les dissimulateurs : les révélations sur Clearstream

Denis Robert s’est procuré des informations sur la société grâce à Ernest Backes. Il fut le Nº 3 de CEDEL (Centrale de livraison des valeurs immobilières), une société de clearing. Le clearing est une technique qui permet de transférer de l’argent : des actions, des obligations. Backes est un des deux concepteurs de cette technique. L’autre était Gérard Soisson, mort de façon mystérieuse en 1983. Aucune autopsie n’a été effectuée pour déterminer les causes de sa mort. Cette année-là, CEDEL faisait d’énormes bénéficient, et Soisson semblait avoir vu passer des transactions pas toujours très propres.

Dans les années 70, une centaine de banques dans le monde mettent en place une sorte de coopérative interbancaire : la CEDEL. Son but est « d’organiser et garantir le commerce international entre banques, autrement dit, de faire passer les frontières le plus vite possible à tout ce que les banquiers peuvent acheter ou vendre : des devises, des actions, mais aussi de l’or et des obligations. » C’est le clearing. Auparavant, les banquiers devaient traiter matériellement leurs actions. Avec le clearing, ils n’ont plus besoin de se déplacer.

En 1999, CEDEL change de noms et devient Clearstream. Il n’existe que deux sociétés de clearing dans le monde : Clearstream au Luxembourg et Euroclear à Bruxelles. Toutes les banques du monde utilisent ces deux sociétés pour les transferts de titres internationaux. Euroclear effectue entre 60 000 et 80 000 transactions par jours soit 180 milliards de dollars soit trois fois plus que Clearstream.

Le PDG d’Euroclear, Pierre Francotte, avoue que « la difficulté est toujours de pouvoir retracer ces transactions. Il est clair que quelqu’un qui cherche à cacher quelque chose aura l’opportunité de rendre sa transaction particulièrement difficile. » Une société de clearing est d’abord un lieu d’enregistrement des échanges. Les traces des transactions sont gardées sous forme de disquettes informatiques ou de microfilm. Cela signifie que tout est traçable, même l’argent du crime.

Le journaliste s’est vu remettre des documents internes de Clearstream : « Ces documents sont de deux ordres : des listes de comptes datant de 1995 et de 2000 avec leurs adresses postales. Tous les comptes officiels et officieux de la firme y sont répertoriés. Ces listes vont nous permettre de recenser les clients de la firme et parmi eux ceux qu’on ne veut pas nous montrer. » Il s’est également procuré des microfilms.

Ces listings démontrent que certains clients effectuent des transactions dans l’anonymat, soit la moitié des comptes. Le règlement intérieur mentionne ces comptes non publiés, mais personne chez Clearstream ne veut ou ne peut en parler. La loi du silence règne devant les pressions, parfois physiques, de la part d’homme de main du PDG Andre Lussi à l’encontre d’anciens cadres trop bavards. Robert a découvert grâce à ces documents que le Crédit lyonnais possédait 32 comptes non publiés en 1995, alors que les investissements de la banque ont coûtés 140 milliards de francs au contribuable français.

Dans ces listes figurent aussi des multinationales. La loi est transgressée puisque d’après la législation luxembourgeoise seules les banques et entreprises du secteur financier ont le droit d’utiliser Clearstream pour leurs transactions. On retrouve Siemens, Uniliver, Accor, le ministère du Trésor luxembourgeois, des sociétés offshore – qui ne paient pas d’impots – et la banque privée russe Menatep, liée à la mafia, connus pour avoir détourné 10 milliards de dollars du Fonds Monétaire International (FMI). Le FBI avait conclu que l’argent s’en est allé dans un paradis fiscal. Le nom de la banque fait partie des comptes non publiés. Personne avant cette enquête ne savait qu’elle utilisait Clearstream pour faire transiter de l’argent.

L’Institut des Oeuvres Religieuses (IOR), la banque du Vatican, apparait aussi. Elle avait touché plusieurs milliards de francs lors de la faillite de la banque italienne Ambrosiano Dirigé par un président mafieux, Roberto Calvi, mort assassiné. On retrouve aussi les otages américains d’Iran. Lors de la révolution iranienne dans les années 80, 52 Américains ont été pris en otage. Quand il travaillait à CEDEL, Ernset s’est chargé de la rançon. En janvier 1981, les otages sont libérés. Reagan, le président de l’époque, avait affirmé dans une allocution télévisée qu’il n’y avait pas eu d’échange. Les transactions ne sont pas toujours illégales, mais sont maintenues dans le secret.

Avec ces documents sensibles, le journaliste prouve par l’exemple qu’il est possible de retrouver des traces de transactions. Il prend l’exemple de la banque Pakistanaise BCCI. Elle a été surnommée « la banque du crime et de la corruption ». 10o milliards de dollars ont disparus de ses « coffres ». Ça a été la plus grosse banqueroute du monde et les clients ont été ruinés. Après avoir découvert qu’elle nourrissait le narcotrafique, toute transaction lui a été interdite à partir du 7 juillet 1991. Backer a trouvé des transactions postérieures à cette date grâce aux microfilms de CEDEL. Le destinataire était la Banque Générale du Luxembourg. Robert a contacté son dirigeant de l’époque, mais n’a pas eu de réponse.

Andre Lussi, PDG de Clearstream, affirmait en juillet 2000 dans une entrevue : « Tout est tracé. Tout. Chaque mouvement d’argent, chaque mouvement de papier valeur doit être toujours être au centime près. Donc il n’y a pas de différence, tout est tracé, tout est enregistré, donc on sait exactement tout ce qui se passe. [..] Aujourd’hui, c’est beaucoup plus sûr parce c’est enregistré. À l’époque des papiers disparaissaient peut-être quelque part. Aujourd’hui, ce n’est plus possible parce que tout est enregistré, tout est fait deux fois, tout est stocké dans des lieux très bien gardés, donc c’est beaucoup plus facile de voir aujourd’hui ce qui s’est passé. »

Ce documentaire explique que les sociétés de clearing sont des points névralgiques de la finance mondiale. Il fait encore mieux en démontrant que toutes les transactions sont traçables. Pourtant, la justice ne va jamais aller vérifier ces comptes. Le discours est de dire que c’est impossible de retracer des transactions alors que tout est là. Pourquoi ? Pressions ? Incompétences ? Denis Robert n’a pas pu continuer sont travail. Mais il a mis au grand ce fonctionnement opaque et c’est déjà un grand pas. Il semble y avoir des éléments compromettants autour de nombreuses affaires. L’histoire va-t-elle s’arrêter là ?

Voir le documentaire en 2 parties :

L’affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo

Le documentaire les dissimulateurs (basé sur le livre "Révélation(s)" de Denis Robert a donc révélé que Clearstream a inventé un système de compte non publié invisible pour véhiculer de l’argent d’un coin à l’autre de la planète, un système de dissimulation. Cette société luxembourgeoise créée par les banques pour elles-mêmes a pour fonction de recueillir l’argent des banques, organiser l’achat de titres et leur stockage. C’est ce qu’on appelle une chambre de compensation. Mais l’enquête a révélé que le logiciel de Clearstream pouvait facilement modifier des noms. Les transactions deviennent anonymes. Elle révèle qu’il n’y a pas que des banques qui passent par Clearstream pour leur transaction, mais aussi des entreprises ou des banques louchent.

Régis Hempel, ancien responsable informatique de Clearstream témoigne sous anonymat qu’il a réalisé des transactions de cette façon. Il effaçait les traces informatiques de certaines transactions. Cela signifie que chez Clearstream on peut faire de la dissimulation, du blanchiment d’argent.

Cette enquête est dévoilée au public avec le livre « Révélations » et le documentaire « Les dissimulateurs ». Clearstream expose un démenti catégorique. Les journaux sont partagés. La presse luxembourgeoise et le journal Le Monde défendent Clearstream. D’autres titres soutiennent Denis Robert tandis que d’autres n’osent pas se mouiller. Clearstream va mener une campagne de harcèlement contre les témoins et les journalistes qui mène l’enquête sans jamais remettre en question les révélations. Vingt jours après la publication de l’enquête, une commission parlementaire antie-blanchiment est créée en France.

Régis Hempel, l’informaticien qui a révélé le blanchiment, va à nouveau témoigner, mais à visage découvert. L’autorité politique luxembourgeoise pressée par la commission parlementaire française et par ce nouveau témoignage autorise l’ouverture d’une information pour blanchiment, escroquerie, faux et usage de faux et faux bilan. André Lusi, PDG de Clearstream et les principaux cadres démissionnent. Les médias vont alors aller dans le sens de Denis Robert.

Dans un nouveau témoignage, Hempel explique plus en détail les manipulations. Le système est bien huilé, car les falsifications ne sont pas traçables en cas d’enquête et se justifient grâce au « joker » de l’erreur informatique. Le lendemain, soit 108 jours après les premières révélations, le juge luxembourgeois chargé de l’enquête va mener une perquisition à Clearstream avec l’aide de Hempel, mais elle arrive beaucoup trop tard.

Des pressions sur Hempel vont être exercées. Il sera victime de harcèlement, de fouille de police et il lui sera interdit de parler aux journalistes. 21 jours après la perquisition, le procureur qui dirige l’enquête établie que leur qu’elle n’a pas permis de constater ni le scénario de manipulation systématique décrit par Beker, ni la non-intégration de comptes dans la comptabilité. L’enquête continuera sur des faits isolés, mais pas sur la qualification de blanchiment.

Denis Robert se procure un document de la chambre de commerce de Prague qui montre que parmi les actionnaires de la multinationale Daewoo, on retrouve Clearstream qui détient 10,26 % de capital. La réponse de Clearstream est alambiquée, mais démontre quelle utilise sont nom pour garder l’anonymat de son client.

Après le 11 septembre, de nombreuses révélations ont démontré les liens entre des banques, dont Clearstream, avec le financement du terrorisme international grâce à des listings. Richard Labeviere, rédacteur en chef de RFI, qui a enquêté sur le financement du terrorisme explique que si l’on devait sanctionner les banques qui opèrent des transactions avec le terrorisme, on risquerait de mettre en péril la finance mondiale. Dans un article de Courrier Internationnal, Ryszard Kapuscinsky — écrivain et journaliste polonais — écrivait : « Tout le monde sait que des centaines de banques dans les paradis fiscaux sont prêtes à blanchir n’importe quelle somme d’argent sale. Sans cette illégalité “légale”, sans l’assurance que tout peut fonctionner en dehors de tout contrôle, les attentats commis aux États-Unis n’auraient pas eu lieu. Sans l’existence d’une clandestinité globale, qui n’a ni nationalité, ni race, ni religion, cela ne pouvait pas se produire. »

Les listings de Clearstream ne révèlent pas que de l’argent propre : l’affaire Elf, le dictateur philippin Marcos, Paneurolife, etc. On est loin du discours de l’ancien PDG Andre Lussi qui affirmait qu’il n’acceptait pas tout le monde. Avec Clearstream on a à faire à l’« hyper-corruption » mondiale.

La commission parlementaire antie-blanchiment mené les députés du Parti socialiste Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, rapporte qu’elle n’a pas eu les moyens de mener son enquête correctement, que le secteur bancaire est opaque. Elle a demandé au Luxembourg de réagir. Une tension diplomatique va apparaitre entre les deux pays voisins. Pour apaiser les esprits, Jacques Chirac nomme le premier ministre luxembourgeois officier de la Légion d’honneur.

« Les dirigeants des grands groupes se servent des banques et de leurs filiales dans les paradis fiscaux, qui elles-mêmes se servent d’outils non contrôlés comme Clearstream pour faire évadé des fonds. » Denis Robert.

Voir le documentaire en 3 parties :

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