Le développement durable fait consensus dans le monde politique depuis quelques années. Ce terme liant écologie et économie fait disparaitre les clivages gauche/droite et permets l’engagement des industriels dans des projets écologistes. Aurait-on trouvé la solution qui permettrait de sauver la planète avec l’aval à la fois des politiques, des hommes d’affaires et des militants écologistes ?
Cette vision idyllique ne prend pas en compte que les effets d’annonces inscrits dans le « projet développement durable ». En effet, en pratique, les choses sont bien différentes.
L’Écologie politique
L’écologie en politique apparait dans les années 70. En 1972, un rapport du Club de Rome — groupement de scientifiques, d’économistes, de fonctionnaires nationaux et internationaux et d’industriels travaillant sur des problématiques diverses — intitulé « les limites à la croissance », préconisait une croissance de zéro. Édouard Pestel y expliquait que « l’arrêt de la croissance économique est la condition nécessaire et préalable pour toute protection efficace de l’environnement ». Ce rapport a été l’objet de vives critiques de la part d’économistes libéraux — qui faisaient déjà à l’époque la pluie et le beau temps — et n’a donc pas été suivi d’actes. C’est à ce moment que naitra le mouvement des décroissants.
La France voit l’apparition de l’écologie politique avec la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974 (1,32 %). Le Parti les Verts est fondé en 1982.
Le terme de développement durable est formulé pour la première fois en 1987 par Mme Brundtland, Présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Cela fait suite à plusieurs incidents au court de la décennie :
— le naufrage de l’Amoco Cadiz au large des côtes bretonnes en mars 1979
— l’explosion la plate-forme pétrolière Ixtoc 1 Mexique trois mois plus tard
— l’incendie du pétrolier Castillo de Beilver en août 1983
— l’explosion de la raffinerie de San Juan de Ixhuatepec au Mexique en novembre 1984
— la fuite de 40 tonnes de gaz toxique de l’usine de pesticides d’Union Carbide à Bhopal en Inde en décembre 1984
— l’explosion du réacteur de type RBMK nº4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en URSS en avril 1986
— l’incendie dans une usine de Sandoz en Suisse en novembre 1986
C’est un développement qui « répond au besoin du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il s’agit de changer nos pratiques de développement afin que les générations futures aient de quoi subsister.
La démocratisation du développement durable
Qu’en est-il 24 ans plus tard ? Le développement durable s’est introduit dans l’énergie, l’économie et le social. Les industriels parlent eux aussi de développement durable, même ceux des industries les plus polluantes ! Cette conscientisation est donc une grande avancée.
Avant d’en arriver là, il y a eu beaucoup de négationnisme de leur part. Jusqu’au milieu des années 90, ces multinationales engageaient des chercheurs pour démonter les arguments sur les gaz à effet de serre (GAS) des chercheurs indépendants. Aujourd’hui, cette théorie fait de plus en plus consensus, bien qu’il reste encore quelques « climato-septiques » qui la combattent. On remarquera que la plupart d’entre eux sont en flagrant délit de conflits d’intérêts auprès de compagnie ayant de près ou de loin des actifs dans le pétrole.
À partir du développement durable est née une nouvelle économie dite « verte ». C’est un domaine d’activité en pleine croissance où de nombreux investisseurs s’engouffrent chaque jour pour nous proposer des solutions moins gourmandes en énergies et rejetant moins de CO² dans l’atmosphère. Des partenariats se font entre entreprises et association de défenses de l’environnement qui garantissent la qualité d’un produit ou d’un comportement.
Le développement durable a donc réussi à sensibiliser les multinationales émettrices de GAS. Un nouveau domaine économique favorisant l’investissement et donc créant de nombreux emplois est apparu et nous nous dirigeons vers un avenir meilleur dans lequel nous respectons mieux l’environnement.
« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », diraient les plus candides…
Greenwashing
À la fin du siècle dernier, le terme Internet apparaissait dans de nombreux investissements ou création d’entreprises — suivi par ailleurs d’un mini krach boursier en 2001. Il en est de même pour le développement durable. Il est difficile d’en entendre dire du mal — sauf lorsqu’il s’agit de critiquer le nucléaire. Pourtant, les pratiques de cette nouvelle économie ne sont pas si roses, ou devrais-je dire « vertes ».
La philosophie principale des grandes entreprises est dans un premier temps de « ne pas entraver la finance ». Cela signifie que, pour faire des projets certifiés « verts », il faut qu’ils soient rentables. Les multinationales ne se soucient donc pas de l’écosystème comme elles le prétendent, mais de leur porte-feuille et de celui de leurs actionnaires. Après des décennies de capitalisme destructeur, il aurait été étonnant de voir dégager en elles une once d’altruisme.
Outre un domaine économique sur lequel de nouveaux projets peuvent être exploités, le développement durable permet le « greenwashing ». Il s’agit pour une entreprise de se donner une image proche de la nature. Par exemple, en 2000, la compagnie pétrolière BP a changé son logo en quelques choses qui s’apparente à un soleil, mais en vert. Il connote tout ce qui est en rapport aux énergies renouvelable, peu émettrice de GAS, ce qui n’est pas vraiment le cas du pétrole qu’il exploite. L’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon au large du Golf du Mexique en avril 2010 et les manquements à la sécurité prouvés est là pour témoigner de l’hypocrisie de la firme britannique.
Il existe d’autres méthodes de greenwashing plus pernicieuses. Prenons exemple de la WWF et de son Panda célèbre dans le monde entier. Cette ONG a mis en place des partenariats avec de grandes compagnies. L’idée est simple : l’entreprise peut utiliser le Panda de l’association sur ses produits et campagnes publicitaires si elle respecte l’accord fait entre les deux parties. Le but est d’inciter les grandes compagnies à faire des efforts pour l’environnement tout en bénéficiant de l’image de l’association qui a bonne presse auprès du public. Cependant, dans le fait la mécanique grince. Le site Basta ! révèle que la société Carrefour qui s’est engagée à ne plus vendre de thon rouge — espèce menacée — dans ses magasins ne respecte pas l’accord en partie. En effet, cette opération n’est mise en place que dans les pays préoccupés par l’écologie et de ce fait l’impact est minime. Par contre, elle permet à société de se faire une bonne image auprès des consommateurs à peu de frais. Cette initiative peut être intéressante, si l’association mettait en place des conditions plus strictes et des procédés qui permettent de contrôler véritablement les agissements des entreprises.
La palme du greenwashing revient sans conteste à Yann Arthus-Bertrand et son projet 10:10 lancé en octobre 2010. Les entreprises qui décident d’y participer s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 10 % sur 12 mois. Un challenge intéressant, mais en consultant les engagements, on s’aperçoit que ce n’est qu’un écran de fumée puisque « tout résultat supérieur à une réduction de 3 % est considéré comme satisfaisant dans le cadre de 10:10». Les entreprises vont avoir les félicitations de Yann Arthus-Bertrand en ne réduisant que de 3 % leur émission et ainsi se donner une image d’écolos volontaristes.
Ce genre d’initiatives n’est qu’une vitrine promotionnelle pour les entreprises qui trouvent dans ce genre d’opérations le moyen de valoriser leurs images.
Tartuffe : personnage de théâtre faux dévot, hypocrite et profiteur.
Un éco-tartuffe — terme inventé par le journal la décroissance — est un écologiste qui prône des mesures modérées pour changer petit à petit le système. Au contraire des écologistes radicaux, il pense que capitalisme et écologie peuvent aller de paire. L’écologie-tartuffe se résume souvent à des mesures symboliques. Comme chaque année, il y a l’opération « Une heure pour la planète » par la très influente — ce terme est à relativiser — Fondation WWF. Il s’agit partout dans le monde d’éteindre les lumières pendant une heure « pour lutter contre le changement climatique » afin que les participants prennent conscience que « pour réaliser des économies d’énergie et préserver l’environnement, quelques gestes simples suffisent, et cela, sans remise en cause de notre confort ! » Ne serait-il pas plus utile de mettre en place des campagnes plus ciblées comme demander la suppression des panneaux publicitaires électriques ou l’éclairage nocturne des vitrines de magasins ?
J’ai déjà évoqué plus tôt Yann Arthus-Bertrand. Il créé en 2005 la fondation GoodPlanet qui promeut le changement de notre quotidien par de petits gestes écolos. Il est également réalisateur de plusieurs documentaires dont Home, diffusé la veille des élections présidentielles qui ont vu Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) faire un très bon score. Les commentateurs politiques n’ont pas hésité une seconde à dire que le documentaire avait influencé les votants. Ce documentaire est très beau. Il y a plein de superbes images, un bon divertissement. Par contre que peut-on en conclure ? Rien d’autre, si ce n’est que l’Homme doit faire des efforts, changer son comportement… N’aurait-il pas dû s’attaquer aux entreprises pétrolières qui influent sur les décisions de nos dirigeants politiques pour ne pas développer d’énergie alternative ? Aux sociétés qui détruisent la forêt amazonienne ? À l’industrie automobile ? Aux gadgets inutiles produits à foison ? En somme, remettre en question notre mode de vie productiviste ?
La grande figure de l’écologie française, c’est bien sur Nicolas Hulot. Il est très populaire auprès de l’opinion publique, mais il est très controversé dans le milieu écologiste. Il se fait connaitre du grand public gras à son magazine télévisé Ushuaïa. En 1997, il créé la Fondation Nicolas-Hulot, association de sensibilisation et de gestes écocitoyens. Nicolas Hulot intervient en politique lors des élections présidentielles de 2007. Il menace d’être candidat si les Partis politiques ne signent pas son Pacte écologique. Un pacte avec des propositions intéressantes, mais très évasives et sans objectifs précis sur la durée. Le gouvernement à bien mit en place un Grenelle de l’environnement, mais les questions sur le nucléaire, les biocarburants, l’eau, les OGM, les nanotechnologies, etc. n’ont pas été évoquées. Par ailleurs, les objectifs de cette loi ne seront pas tous atteints.
Dans le Comité de soutien au pacte écologique de Nicolas Hulot, on retrouve entre autres des évadés fiscaux, des chefs d’entreprises, des banquiers, des assureurs. Jean Lassale, député MODEM, n’était pas tendre à se sujet : « Je propose, de façon à le mettre à l’abri de toute incursion de la justice, qu’on élève Nicolas Hulot au titre de père de la nation ou, profitant des bonnes relations que notre président entretient avec le pape, qu’on propose sa canonisation. Parce que j’ai peur qu’avec ce texte [le Pacte écologique], un jour, il n’ait des comptes à rendre à la justice pour tout l’argent des grands spéculateurs les plus polluants qu’il a reverdi et qu’il a réussi à blanchir dans sa grande fondation. »
Outre ce Pacte consensuel, les reproches faits à Nicolas Hulot sont les partenariats de sa fondation avec des entreprises loin d’avoir une philosophie « eco-responsable ». Il y a les « partenaires fondateurs » qui sont EDF, L’Oreal et TF1 (groupe Bouygues) ainsi que d’autres « partenariats thématiques » : Vinci Autoroutes, Bouygues connut pour être de grands pollueurs ou les Hotels Ibis qui ne respectent pas toujours le droit du travail. Deux députés, Jean-Marie Sermier (UMP, Jura) et Geneviève Gaillard (SRC, Deux-Sèvres) ont rédigé un rapport sur les modes de financement et de gouvernance des associations de protection de la nature et de l’environnement. Ils signalent la présence des partenaires fondateurs dans la composition du conseil d’administration : « les activités particulières de ces groupes semblent problématiques. Ainsi, EDF est une entreprise de pointe dans le secteur nucléaire. Quant à L’Oréal, elle est classée parmi les groupes de cosmétiques dont les produits font l’objet de test sur les animaux, au grand désarroi des opposants à la vivisection. Dès lors, comment interpréter, par exemple, la position très mesurée de Nicolas Hulot sur l’énergie nucléaire ? Quel poids donner à sa parole sur les activités principales de ses deux administrateurs, dont vos rapporteurs ont appris que l’un d’eux finance la fondation à hauteur de 10 % de ses ressources ? » Hormis l’éthique, les députés s’inquiètent sur cette présence intéressée : « Dans le pire des cas, que vos rapporteurs ne souhaitent pas imaginer, la parole de la fondation se trouve pilotée par ses administrateurs intéressés sur les sujets sensibles ».
Ce rapport critique aussi le soutien de Yann Arthus-Bertrand à la candidature anti-écologique du Qatar pour la coupe du monde 2022 qui « renforce les interrogations et les risques de discrédit ». Dans un communiqué, il affirme ne pas avoir touché d’argent pour ce soutien : « Faut-il dire enfin qu’évidemment je n’ai pas touché un sou pour avoir exprimé mon soutien dans cette vidéo ? »
Ces deux fondations ne sont pas les seules dans le collimateur des écologistes. Fabrice Nicolino dans son livre Qui a tué l’écologie ? s’attaque à Greenpeace qui utilise des méthodes de gestion digne d’une grande multinationale. Pascal Husting est arrivé à la tête de Greenpeace France en 2005. Auparavant, il s’occupait d’optimisation fiscale au Luxembourg. Dès son arrivée à l’association, il a mis à la porte la moitié des salariés et a instauré « centralisme démocratique à la mode Staline ». L’auteur du livre épingle aussi France nature environnement de par son financement de l’État à hauteur de 65 % ainsi que la fonctionnarisation de ces bénévoles présents dans des commissions locales. Pour l’auteur, l’électrochoc de cette enquête est les liens de la WWF avec Anton Rupert, un homme d’affaire et partisan de l’apartheid en Afrique du Sud et plus généralement avec une aristocratie mondiale très conservatrice. Nicolino revient aussi sur les partenariats de l’association avec de grands groupes industriels pollueurs, dont Monsanto.
Réformer ou refonder ?
Comme l’a démontré sa non-candidature à l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Hulot ne veut pas s’affronter avec les politiques, pas plus que les industriels ou les publicitaires. Le développement durable et les écolos tartuffes, avec les politiques cooptent pour une écologie de consensus. Le PDG de la General Electric au Journal du dimanche du 29 juillet 2007 déclarait : « Je veux qu’il soit bien clair que tout cela est enraciné dans le business. Je ne veux pas que les gens se trompent : je ne suis pas un croisé et je ne fais pas cela comme un passe-temps. Je le fais vraiment parce que j’estime que c’est compatible avec ce qu’un bon PDG doit faire pour diriger une entreprise comme GE, à savoir créer de la croissance. » Les industriels voient dans l’écologie le moyen de faire du « business », quant aux économistes « orthodoxe » ils y voient un nouveau champ économique de prospection financière et de création d’emploi. Pour sa part, la directrice du Fonds mondial de l’environnement, Monique Barbu estime aussi que le développement durable est un facteur de création d’emploi. Elle ajoute que créer de l’emploi c’est la consommation et qu’il ne faut pas consommer moins, mais mieux.
Nous savons que nous sommes dans un monde fini, où les ressources naturelles sont en nombre limité. La destruction des forêts, la surexploitation agricole, les transports sont des facteurs qui déstabilisent l’écosystème. Bien sûr, ils permettent de soutenir la croissance, mais ça ne durera qu’un temps. Remarquons que dans les discours ne remettant pas en cause nos moyens de production actuels qu’il y a cette logique de croissance, du toujours plus. Peut-être que pour changer cette vision compétitive et économique du monde, ne devrait-on pas remplacer l’indice d’évaluation qu’est le PIB par d’autres méthodes d’évaluations plus complexes, mais plus proche de la réalité.
Les écologistes vedettes ne veulent pas perdent leurs privilèges de confort et établissent une écologie de surface qui demande aux industriels de faire un peu d’effort. En s’exécutant, ceux-ci préservent la paix et se donnent une image vertueuse. Certains écologistes-politiques bien connus sont partisans d’une certaine forme de statu quo. « Je suis pour le capitalisme et l’économie de marché » écrivait Daniel Cohn-Bendit, dans son livre « Une envie de politique » en 1998. Il fait partie du courant des réformateurs au sein du parti EELV qui « s’oppose » à celui des anti-capitalistes.
Depuis des années, nous pouvons remarquer que les entreprises capitalistes n’ont pas changé leur volonté de faire du profit à tout prix. Les traders spéculent et affament une partie du monde. Les banques font de multiples bénéfices et appauvrissent toutes une partie de la population. Les industriels continuent leur activité polluante et exploitent une main-d’oeuvre à bon marché dans les pays où le droit du travail le leur permet, malgré leurs discours « responsables ». Les entreprises n’ont qu’un seul objectif : faire du profit. Avec un tel constat comment faire confiance aux fondations comme celles de Nicolas Hulot et Yann Arthus-Bertrand — pour ne citer que les plus médiatisés — qui s’associent à ces multinationales ? Par leurs « mecénat » — déductible des impôts —, ces associations en deviennent dépendantes et servent leurs intérêts. Il est très peu probable qu’elles puissent critiquer l’activité de ses entreprises sous peine de voir leurs sources de financement disparaître. Devons-nous nous lancer dans un processus écologique plus radical ou essayer de changer le système de l’intérieur comme le préconise Nicolas Hulot ? Il est bien évident que le premier choix est plus difficile. Il remet en cause nos modes de vie énergivore et consumériste. Mais n’est-ce pas à ce prix que nous deviendrions enfin responsables ?