L'Irlande est connue à travers le monde pour son folklore musical,
ses leprechauns, sa verdure, ses pubs, sa météo capricieuse et sa
Guiness. En revanche, qu'en est-il réellement de la vie dans ce pays ?
Fort de mes deux séjours de trois et quatre mois à Cork, la deuxième plus grande ville du pays, en l'espace de deux
ans, j'ai pu m'en faire une petite idée.
La première fois que j'ai mis les pieds dans cette nation celte,
c'était en septembre 2009, en pleine campagne de propagande pour le
référendum en faveur ou non du Traité de Lisbonne. Le premier avait eu
lieu quelques mois plus tôt et les Irlandais avaient majoritairement
voté contre. Mais le gouvernement, avec son habitude paternaliste, a
cru bon devoir les interroger à nouveau. Sans doute, a-t-il cru que
les citoyens avaient été voter sous l'emprise de Guiness. N'est-ce pas
là une preuve de déni de la démocratie ?
Contrairement à Nicolas Sarkozy en France, le
président irlandais a eu le courage de soumettre la question une
seconde fois aux citoyens et non de la voter en catimini. Était-ce
du courage ou de la manipulation ? Bien que les affichettes dans les
rues semblaient réparties équitablement entre les deux camps, dans les
médias, la pluralité des opinions s'arrêtait au pas de leur porte. Les
voix contre le traité étaient calomniées, les arguments en faveur de
celui-ci étaient fabulés et inlassablement répétés à longueur de
journée. Bref, une mise en scène
qui a permis au oui de l'emporter.
Me revoilà donc de retour deux ans plus tard. Le pays n'a guère
changé. Le coût de la vie est toujours aussi exorbitant. Depuis
l'Irlande a failli connaître une faillite budgétaire similaire à la
Grèce. Mais le FMI est passé par là en échange d'un plan d'austérité
drastique dévoilé en novembre 2010 :
- La baisse des dépenses sociales de 2,8 milliards d’euros d’ici à 2014
- La suppression de 24.750 emplois publics, pour revenir au niveau de 2005
- L’abaissement du salaire horaire minimum de 8,65 à 7,65 euros
- La hausse de la TVA de 21 à 22% en 2013, puis de 22 à 23 % en 2014
L’Irlande a même été ajoutée aux PIGS (Portugal, Italie, Grèce et
Espagne "Spain"), signifiant porcs, acronyme désignant les pays méditerranéens qui selon les journaux
libéraux anglais seraient laxistes avec leurs budgets.
Pourtant contrairement aux membres originels du PIGS, les différents
gouvernements irlandais mènent depuis quelques années déjà, des
politiques ultralibérales : forte taxation des biens de consommation
et faible imposition sur le revenu qui a pour effet de peser sur les
revenus des plus modestes, favorisant ainsi les disparités économiques
et sociales entre les riches et les pauvres. Sans nul doute, la
faible imposition des entreprises est aussi un manque à gagner dans le
budget de l'Irlande. Le pays est devenu l'Eldorado des prestataires
de services après-vente de nombreuses entreprises à destination du
marché européen, notamment étasuniennes : Apple, Google, Microsoft,
IBM, Amazon, etc.
Comme les entreprises françaises, Orange en tête, utilisent les pays
du Maghreb pour délocaliser et avoir une main d'oeuvre à peu de frais
et flexible, ces entreprises étasuniennes viennent en Irlande pour
les mêmes raisons. Ces entreprises investissent très peu dans le pays
d'accueil, malgré les avantages fiscaux dont
elles bénéficient. Les profits engendrés sont directement dirigés vers
la banque de la maison mère, si bien que le pays ne tire aucun
avantage de la situation.
Par ailleurs, l'Irlande n'a pas une forte économie productive la
rendant aujourd'hui totalement dépendante de ces entreprises
nouvellement arrivées sur son territoire. Il faudrait des
investissements de la part du gouvernement dans des entreprises
nationales, mais en restant sous la tutelle de l'Union européenne et
dans le giron du FMI, ses marches de manœuvres sont bien minces.
Faire venir des entreprises pour très peu davantage n'est pas la
seule similitude avec les pays du tiers monde, tant les services
publics sont presque inexistants et les entreprises privées qui les gèrent ne
pensent qu'à faire de l'argent. Par exemple, Bus Éireann la compagnie de
bus qui détient presque le monopole en Irlande ne donne pas beaucoup d'informations sur ses lignes de bus et les prix des trajets sont très dispendieux, la gestion des déchets est
calamiteuse : le recyclage n'est pas effectué partout, la Poste n'est pas
capable de déposer des colis hors de son entrepôt qui, à Cork, est situé hors de la
ville, les frais médicaux sont assez onéreux (il faut voir l'allure des
dents de nombreux irlandais pour s'en rendre compte), etc. La liste n'en
fini pas...
Bien sûr, on peut voir de nombreux bâtiments neufs. Ces dernières
années la spéculation allait bon train et il y a eu plus de
construction que d'habitants, si bien qu'il n'est pas rare de voir des
appartements neufs à louer. Au lieu d'investir dans des services publics
digne de ce nom afin de répondre au besoin des citoyens, l'argent a été placé à la
faveur d'intérêts privés et à l'encontre du bien collectif.
Par rapport à un pays du tiers monde où les délocalisations vont bon
train et la misère se trouve à chaque coin de rue, les Irlandais ont
un certain pouvoir d'achat, même si celui-ci est en baisse. Et c'est
bien de là que provient la déchéance de ce peuple, incapable de voir
dans quelle position lui a mis les différents gouvernements avec leur
"recette" libérale. Les Irlandais, surtout la nouvelle génération,
ne croient que dans le "Saint" "progrès". Il faut l'admettre, ils ne
sont pas aidés avec les programmes abrutissants et avilissants, les
fast-foods à chaque coin de rue, le manque d'activité culturelle un
minimum réflexive. Quand je vois le choix des livres dans la
bibliothèque municipale de Cork, j'ai
l'impression de me retrouver dans celle de mon petit village où
j'arpentais avec mon école quand j'étais môme. Les magasins étant
ouverts le dimanche, que font les Irlandais ? Ils consomment. Pendant
ce temps, les politiques pensent pour eux.
En guise de réaction à la situation de pauvretés de nombreux
individus, la charité est très répandue par ici. Pourtant, il serait bien
plus productif d'avoir une action pédagogique d'éducation politique
afin d'expliquer la situation, au lieu d'un pansement qui n'a d'impact
ni sur le système qui engendre ses carences, ni sur les personnes
vivant dans la misère. Ces culs bénis d'Irlandais y voient la fatalité
et une mise à l'épreuve de Dieu, parce qu'ici il y a deux religions
la consommation et le catholicisme qui asservissent le peuple.
Au mois d'octobre, il y a eu les élections présidentielles. Les
favoris avaient tous à peu près le même discours, sauf pour les
commentateurs qui pensent que la voix libérale est la seule solution.
Je ne pense pas que la solution va évoluer prochainement, sinon en
pire, dans ce pays.
Cette Irlande décrite ici, pourrait devenir bientôt un cauchemar
français si les plans d'austérités et de privatisations continuent dans
notre "bon" pays...
Photo : Reuters/Cathal McNaughton