Dans sa préface, Ignacio Ramonet (ancien directeur du Monde
diplomatique et directeur de la version espagnole), définit cette Bande
dessinée comme étant une arme contre "le bourrage de crâne ambient".
Un dogme
Squarzoni revient rapidement sur les origines de la mondialisation
comme point de départ dans sa narration. En1519, l'explorateur
espagnol Hernán Cortés débarque sur les côtes Mexicaine et débute la
conquête des territoires Américains. Cette "conquista", colonisation
européenne des Amériques, exterminera entre 6 et 10 millions
d'Indiens. Depuis, notre civilisation est basée sur l'esclavage des
Autochtones, la destruction de leur culture et le pillage de leur
richesse. Mais « toutes sociétés digèrent le génocide qui la fonde ».
Selon les penseurs libéraux, la mondialisation est un fait accompli : « Ce n'est pas la pensée, c'est la réalité qui est unique » (Alain Minc), « Nous sommes condamnés à vivre dans le monde où nous vivons
» (François Furet). En bref, pour eux, il n'y a pas d'alternative au
fonctionnement du monde actuel, l'abandon des acquis sociaux, qui
proviennent de la pensée des Lumières et des luttes populaires, est
inexorable. Le postulat libéral est que le capitalisme est créateur de
richesse et qu'il accompagne le progrès et la démocratie dans le
monde. Les libéraux ne croient pas au « prétendu pouvoir des multinationales qui gouvernent le monde
». Pourtant depuis les années 80 et la libéralisation financière la
moitié des 200 plus grandes économies mondiales sont des entreprises.
Plus tôt, dans les années 60, les plus grandes entreprises étaient
accusées de renverser des gouvernements en Amérique Latine : invasion
d'Haïti, renversement de Salvador Allende au Chili, lutte contre les
sandinistes au Nicaragua). Après la chute de l'URSS, les pays du bloc
de l'Est ont vu la pauvreté augmenter et l'espérance de vie décroitre
conséquence des thérapies de choc néolibérales.
Médias
Pour lutter contre cette orthodoxie libérale, il ne faut pas compter
sur les médias qui appartiennent pour la plupart à de grands groupes
industriels ou bancaires. Les médias se concentrent de plus en plus
entre les mains de mêmes propriétaires d'empires médiatiques. Les
journalistes vedettes qui nous tiennent informés sont tellement bien
rémunérés, qu'ils sont les garants de leurs attachements à la pensée.
Pour Chomsky, « une société vouée, par la concentration du
pouvoir économique et politique, à une redistribution tellement
inégale du bien-être et de l'influence, ne peut, pour survivre, que
produire en permanence un consensus populaire aux valeurs qui la
soutiennent ». Cela signifie distraire la masse et générer de
l'information destinée aux 20 % de la population qui jouent un rôle
dans la population et s'assurer du contrôle de l'information (8
informations sur 10 passent par les 4 agences de presse
internationales, appartenant à des pays occidentaux : AP, UPI, Reuter,
AFP).
Comme source alternative, il existe bien Internet, cependant toute
une frange de la population dans le monde n'y a pas accès ou ne sait
pas où trouver l'information.
Il n'y a pas de complot. Simplement, les néolibéraux ont compris
qu'en répétant inlassablement les mêmes idées, elles deviennent
évidentes, d'où la création de fondations, groupes de pression,
lobbies. Ces organismes consacrent des millions à développer leurs
idées sous différentes formes : colloques, livres, rapprochement avec
les médias, magazines, formation de professeurs...
L'ultra libéralisme en Angleterre
Après 18 ans de thatchérisme, l'Angleterre est devenue un des pays
d'Europe Occidentale les plus inégalitaires. Les travaillistes, censés
mener une politique plus sociale, ont continué vers la même
direction. Ils vantent la baissent des impôts, la compression des
dépenses publiques et la libéralisation des échanges. Le revenu des
riches a augmenté de 67 % en 13 ans, ceux des pauvres de 17 % et toute
une série de mesure anti-sociale ont été proclamées : lois
antisyndicats, réduction de congé maternité, droits de licenciement
abusif, pas de SMIC, pas de durée légal du travail, pas de code du
travail. Les charges sociales des entreprises sont de 18 % (44 % en
France) et 32 % des enfants vivent dans la misère. Pourtant, pour le
FMI, les performances l'économie britannique sont « enviables et résultant de politiques économiques profondément saines ».
Guerre des Balkans
Squarzoni est allé plusieurs fois en Croatie. En mai 1995, il était
volontaire dans un projet de résolution du conflit entre la Croatie et
la Yougoslavie. C'était un projet politique qui avait pour but de
réunir Serbes et Croates en vue de préparer le moment du "vivre
ensemble". Le projet était à Pakrac, ville traversée par la ligne de
cessez-le-feu. Les activités de l'ONG étaient de reconstruire les
habitations et de rendre visites aux communautés jusqu'à ce que les
chars croates se positionnent tout au long de la ligne et commencent à
tirer, suivit par les répliques serbes. Cette attaque a permis aux
Croates de conquérir de nouveaux territoires. Tous les Serbes se sont
alors enfuis ailleurs. Finalement, la guerre menée par Milosevic
censée protéger les Serbes a causé leur perte. De retour avec une amie
photographe en décembre 1995, Squarzoni constate que le projet de
l'ONG n'a pas repris et surtout que l'alcoolisme, le chômage et la
pauvreté ont progressé.
La propagande s'est bien arrangée du problème ethnique qui détourne
la population des problèmes économiques. L'éclatement de la
Yougoslavie n'est pas seulement dû à cela. À la mort de Tito,
l'importante dette extérieure a été l'occasion pour le FMI
d'intervenir sur les ajustements structurels du pays : gel des
salaires, inflation de 2 700 % par an, 2 salariés sur 3 licenciés... La
pauvreté augmentant, les dirigeants se sont alors approchés des
courants nationalistes en relayant leurs discours racistes à travers
lesquels « les couches sociales dépossédées reportent sur d'autres leurs frustrations ».
Répartition des richesses
En 1997, le rapport mondial pour le développement humain estimait que
le coût de l'éradication de la pauvreté représentait moins de 1 % du
revenu mondial, c'est-à-dire 80 milliards, soit moins que le
patrimoine cumulé des 7 personnes les plus riches du monde. Il
suffirait de 15 milliards de dollars par jour pour que tout le monde
puisse accéder aux soins élémentaires et à une alimentation suffisante
et avec 8 milliards, assurer l'accès à l'eau potable à tous les pays
en développement. Ce n'est donc pas un problème de coût, mais bien la
volonté qui manque.
Helmut Maucher, alors patron de Nestle, disait : « l'important c'est d'être plus complétif que son voisin
» d'où les délocalisations vers les pays où les normes écologiques
sont moins contraignantes, où les salaires et les impôts sont plus
faibles et où il y a moins de redistribution.
Les entreprises Étatsuniennes touchent chaque année 170 milliards de
dollars. En 1994, elles ont supprimé 300 000 emplois et fait 25
milliards de bénéfices. Alors qui sont vraiment les assistés
profiteurs ?
Le libéralisme consiste à créer de nouvelles richesses, mais sans les
répartir équitablement. Le moindre geste des privilégiés que nous
sommes est un luxe pour la majorité des hommes (électricité, eau
courante, etc.). Pour les libéraux, les marchés représentent « un modèle adapté au bonheur de l'humanité »
et rétorquent que si la croissance économique n'a pas réduit la
pauvreté, ni augmenté le niveau de vie, c'est qu'il y a trop d'États,
pas assez de libre marché et de dérégulation. Combien de crise
économique, de pauvres, de sans-papiers leur faudra-t-il pour qu'ils
prennent conscience de leurs erreurs ?
Le FMI et les dettes
Cette institution impose, en échange d'un prêt aux pays endettés, des
plans d'ajustement structurel : abaissement du rôle redistributeur de
l'État, réduction des dépenses sociales, déréglementation des
conditions de travail. Pas un État n'est sorti indemne de cette
"aide". Entre 1980 et 1995, la dette du tiers-monde a quadruplé, alors
qu'ils ont déjà remboursé cinq fois le montant initial. Dans certains
pays africains, le remboursement de la dette est un de leurs plus
gros budgets de dépenses. Aussi, souvent les prêts sont accordés à des
dictatures qui n'utilisent pas l'argent afin de servir leur peuple. Ces
dettes deviennent dès lors illégitimes. Autre facteur important sur
la non-résolution de la dette du tiers-monde : elle pourrait être
remboursée, mais l'Europe et les États-Unis perdraient un moyen de
contrôle sur ces pays.
Cet état des lieux de la finance mondialisée est complet et bien
documenté. Il y beaucoup de réflexions et d'interrogations qui amène
le lecteur à réfléchir sur la situation politique dans le monde et en
France. Cette lecture lui apporte des outils pour mieux décryptés les
discours des uns et des autres. Partisan, se livre l'est. Antilibéral,
il se soucie des conséquences sur la condition humaine des politiques
antidémocratiques non approuvée par les peuples. Squarzoni montre son
attachement aux causes des sans voix comme les Indiens du Chiapas aux
Mexique. Cet ouvrage publié en 1998 est toujours d'actualité, les
chiffres n'ont pas tellement changé. La nouveauté vient des mouvements
altermondialistes qui se sont largement développés depuis. Pourtant,
beaucoup de choses sont encore à faire pour que le monde se mette à
fonctionner correctement.