Igort, un dessinateur italien, a vécu deux ans en Ukraine entre 2007 et
2008. Il y a recueilli des témoignages de survivants de la famine qui a touché le
pays en 1932. Avant de retranscrire le premier récit, il fait un état des lieux
de l'Ukraine post Soviétique avec la mafia qui s'est approprié le secteur de
l'immobilier et exclu les Ukrainiens dans les banlieues. Il évoque aussi le cas
d'émanations radioactives importantes près des centrales nucléaires, la mise sur
le marché des produits irradiés malgré l'interdiction et la chasse des animaux
dans les zones contaminées aux abords de Tchernobyl. Il raconte aussi quelques
anecdotes d'avant la chute du mur de Berlin, comme l'impossibilité de faire
carrière après un voyage hors de l'Union tout en étant soupçonné d'être un
espion capitaliste.
Son topo sur l'Ukraine n'est pas la description d'un paradis. Mais les
histoires des personnages qu'il a rencontrés nous emmènent encore plus vers la
désolation. Il commence avec Serafina Andreïeva. Née en 1928, elle évoque sa
survivance durant la famine, où sa famille ne trouvait rien à manger. Quelques
racines leur ont permis de tenir le coup. Elle s'est remémoré les
recommandations de sa grand-mère qui lui interdisaient de s'aventurer trop loin
pour ne pas se retrouver nez à nez avec des individus en grande détresse
pratiquant le cannibalisme. Serafina mourra quelques jours après le retour de
Igort d'Ukraine.
Arrivé au pouvoir en 1929, Staline veut mettre fin à toute velléité
d'indépendance de l'Ukraine qui, forte de son réseau de paysans propriétaires, a
une agriculture florissante. Staline va méthodiquement mettre à mal le pays afin
qu'il rentre dans les rangs. Les frontières sont fermées, la circulation entre
les régions est interdite, le blé des paysans est réquisitionné, et les koulaks,
petits propriétaires terriens qui refusent la collectivisation, seront
stigmatisés. Il est interdit à la population de leur venir en aide. Le pays va
alors sombrer dans une lente agonie. Cette famine, appelée aussi l'Holodomor, a
eu lieu entre 1932 et 1933 et fit entre 2,61 et 5 millions de victimes.
La seconde histoire est celle de Nikolaï Vassilievitch. Il a vécu son enfance
seul avec sa mère. Son père l'a quittée à sa naissance, en 1926. Nikolaï va
connaitre la guerre et l'occupation allemande. Il va devoir travailler pour eux.
Les conditions sont abominables, les individus qui ne sont pas assez rapides se
font taper dessus et ceux qui ne peuvent pas travailler voient leur maison
bruler. Même les femmes, les enfants et les vieillards sont d'astreinte pour les
travaux pénibles. Ensuite, il rencontrera deux femmes. Avec la seconde, il aura
deux enfants. Mais leur relation ne durera pas. Il va se retrouver seul, sans
argent, malade. Il restera avec un bras paralysé pendant six mois. N'ayant
aucune aide, il ne peut aller consulter un médecin. Enfin son seul ami, qui
l'a soutenu durant sa convalescence est décédé. La vie de Nikolaï n'est qu'une
succession de drame. Ses paroles sont pleines de tristesses : « Il ne me reste
plus longtemps à vivre, je le sais. Et quand je ne serais plus là, plus personne
ne se souviendra de moi. » Poigant.
Le troisième témoignage est celui de Maria Ivanova qu'Igort rencontrait quand
il allait au supermarché, elle mendiait. Peu de temps avant de partir, il a
voulu qu'elle lui évoque sa vie. Née en 1925, elle a eu plus de "chance" que les
autres. Sa mère avait une bonne situation en tant que comptable d'un Kolkhose.
Sa famille possédait une vache qui a permis de les nourrir et de vendre un peu
de lait sur le marché. Les morts autour d'eux s'accumulaient dans les fosses
communes. Les déboires commencent véritablement lorsque la mère de Maria eut un
problème de dos. Après avoir changé de Kolkhose elle n'occupait plus le même
poste, elle cultivait la terre. Quant au père, naïf, il est tombé dans un piège
qui lui a valu un an et huit mois de prison. Quelque temps plus tard Maria s'est
mariée. Elle a eu une fille qui après des études est partie travailler pour un
programme nucléaire secret en Corée du Nord et est revenue avec un cancer...
Le dernier témoignage tranche avec les précédents récits. C'est celui d'Ivan
Ivanovtich. Contrairement aux autres, il n'a pas connu la famine des années
trente. C'est sans doute pour cela que ses propos sont remplis de nostalgie : à
l'époque de l'URSS, il y avait du travail, des aides, le coût de la vie était
plus bas. « Aujourd'hui, dit-il, les gens n'ont pas de travail, les prix ont
grimpé et personne ne voit le bout du tunnel. »
Des informations détaillées sur les plans staliniens qui ont engendré la mort
de nombreux Ukrainiens et détruit la vie de beaucoup d'autres. Des témoignages
bouleversants d'anonymes qui ont vécu l'horreur. Ce récit-témoignage d'Igort est
chargé de misère.