Je me réveille souvent avec les voix de France Info. L'information y est distillée en surface ce qui est parfait pour mon cerveau en pleine émersion. Pourtant, vendredi matin, le drame a failli se produire. Il était aux alentours de 7 h 15, c'était le rappel des titres. Après avoir évoqué les problèmes du risque nucléaire au Japon et le cas de la Libye, le journaliste nous informe le retour de l'ex-"dictateur" Jean-Bertrand Aristide en Haïti, juste avant le second tour des élections présidentielles qui ont lieu ce dimanche.
Je me suis alors posé des questions sur la signification du mot dictateur. Pour en avoir le coeur net, j'ai consulté le site de Larousse — pour les plus jeunes, avant Wikipédia, on utilisait de gros livres appelés dictionnaire et le Larousse étaient un des plus célèbres — voici ce que j'ai trouvé :
« — Personne qui, à la tête d'un État, détient tous les pouvoirs, les exerçant sans contrôle et de façon autoritaire ; autocrate.
— Personne autoritaire qui impose son point de vue et sa manière de vivre aux autres ; tyran, despote. »
Ouf ! J'étais rassuré, j'avais la même définition. Mais alors pourquoi les journalistes de France Info qualifient-ils Aristide de dictateur ? Rappel de quelques faits.
Avant son élection en 1990, Aristide était pasteur et était engagé auprès des plus démunis. Il a été le premier président d'Haïti élu démocratiquement. En 1991, ses réformes étaient favorables aux plus pauvres du pays au détriment des plus fortunés. Ce n'étaient pas du goût des militaires et des oligarques, qui avec l'aide bienveillante de la CIA — elle a formé les putschistes — renversent Aristide. Hausse des salaires pour les bas salaires, hausse de l'impôt pour les plus riches, l'alphabétisation a été les avancées faites dans la première ère d'Aristide.
Après le putsch, il est remplacé par Raoul Cédras, le Commandant en chef de l'armée sous Aristide. Le pays conservera son statu quo entre les riches propriétaires et les plus démunis. Ce sera le « régime le plus brutal et le plus violent de notre hémisphère, exécutant des enfants, violant des femmes, tuant des prêtres et assassinant des orphelins » d'après Peter Hallward, spécialiste d'Haïti, dans son livre Damming the Flood. Haiti, Aristide and the Politics of Containment. En 1994, William Clinton décide de faire revenir Aristide au pouvoir, mais sous certaines conditions : police sous contrôle étatsunienne, partage du pouvoir avec l'opposition proétatsunienne et amnistie des putschistes. Aristide était également sous la pression des assassins financiers. Ces derniers ont pour existence de forcer un pays à suivre un dogme économique précis. Ce mode opératoire a été révélé par John Perkins, ancien assassin financier, dans son livre Les Confessions d'un assassin financier.
http://www.youtube.com/watch?v=w-aB6-hzhcM
Aristide était donc de retour, mais devait partir en 1996, puisque la constitution l'empêchait de se représenter. En 2000, il se représente et gagne facilement les élections, l'opposition ayant boycotté le scrutin. Les États-Unis voient d'un mauvais oeil son retour au pouvoir si bien qu'ils ont empêché Haïti de faire des prêts auprès de la Banque Mondiale et du FMI. En revanche, la dette que devait Haïti devait continuer à être payée. Le taux de change, puis l'inflation ont alors détruit l'économie haïtienne.
En 1804, Haïti est devenu le premier pays d'Amérique latine indépendant suite à une révolte d'esclaves. En 1825, la France avait demandé pour ses "droits de propriété" perdus telle la force de travail des esclaves, un dédommagement — Haïti est une ancienne colonie française. Cette dette est l'élément fondateur de la domination impérialiste sur l'ile depuis/malgré son indépendance.
En 2003, Aristide a eu l'audace (ou l'inconscience) de demander à la France son remboursement à hauteur de 17 milliards de dollars.
En ce qui concerne les qualifications de régime meurtrier, il n'en est rien. D'ailleurs, les journaux occidentaux ont toujours été assez évasifs sur la "dictature" d'Aristide. En 2004, il est pourtant contraint par les États-Unis et la France — Regis Debré et Dominique De Villepin étaient allés à Haïti peut de temps avant — à partir. Aristide affirme ne pas avoir démissionné. On n’est pas à une ingérence près.
Alors pourquoi les journalistes de Franbce Info le traitent-ils de dictateur ? Chavez, Allende, Sankara, Castro, tous les hommes qui vont à l'encontre des intérêts occidentaux, risquent leur vie. Certains arrivent à s'en sortir, mais subissent une propagande de tous les instants. Aristide était de ceux-là...
A voir le documentaire Aristide, the Endless Revolution de Nicolas Rossier (2005).