On se souvient de ce Traité de Lisbonne. Une vaste campagne de
propagande médiatique avait été mise en place de la part des grands
médias nous disant presque à l'unanimité de voter oui. Dans le cas
de la réforme des retraites, on retrouve cette même ferveur. La plupart
d'entre eux nous disent que c'est une réforme nécessaire et qu'il n'y a pas
d'autres solutions. Pourtant et contrairement au référendum du Traité de
Lisbonne, il n'y a pas eu de véritable débat public. Le gouvernement a
décidé les points de la réforme sans en discuter réellement avec les partenaires
sociaux sauf sur des détails qui ne remettaient pas en cause le véritable fond.
D'autre part, les propositions des opposants n'ont pas été très relayées par les
médias de masse, qui auraient dû au moins les évoquer plus largement pour
donner l'impression d'être impartial.
Pourquoi ces propositions alternatives n'ont-elles pas été plus largement
mises en avant ? Peut-être parce que la solution "unique" n'est pas la
seule option. Et en effet, le gouvernement nous prétend qu'il n'y a
pas assez d'argent pour financer les retraites sous la forme actuelle. Cependant
quand on regarde le manque à gagner qu'il y a eu ces dernières années avec les
différentes réformes, on remarque qu'en ayant la volonté on peut trouver
rapidement de l'argent.
PIB et Démographie
Le problème des retraites nous est présenté ainsi : plus de vieux à la
retraite, moins de jeunes pour cotiser, et comme la caisse des retraites
est dans le négatif, ce ne sera plus possible de financer le modèle actuel,
c'est mathématique. En effet, l'espérance de vie des Français augmente. Il y a
donc de plus en plus de retraités et moins d'actifs. Mais le gouvernement ne
nous dit pas qu'un travailleur dans 40 ans produira plus
qu'aujourd'hui. L'équation mathématique n'est donc plus la même : plus
de retraités et des travailleurs plus productifs. L'idée simpliste
gouvernementale est donc caduque. D'autre part la richesse du pays, avec une
prévision de croissance à 1,7 point (les économistes estiment qu'elle sera
supérieure 2), notre PIB doublera en 2050 et sera
d'environ 4 000 milliards d'euros. La part des retraites passera alors à 18%,
alors qu'il est de 13 aujourd'hui. En retirant les 18% dédié aux caisses
sociales dans le PIB de 2040, il restera bien plus d'argent que le PIB
total d'aujourd'hui.
En 2009, le PIB était de 1 800 milliards. 68% était destiné aux salaires,
alors qu'en 1982 il y en avait 76%. Dans le même temps, les profits
réalisés revenants aux actionnaires sont passés de 5% en 1985 à 25% en
2010 (rapport Cotis de l'INSEE). Cela démontre que depuis l'arrivée aux
pouvoirs des libéraux socialistes dans les années 80, et l'aide des différents
gouvernements de droite, les différentes lois n'ont jamais profité aux
travailleurs.
La pénibilité a été un des points les plus débattus. L'espérance de
vie d'un ouvrier en bonne santé est de 59 ans et celui d'un cadre est de 69
ans (chiffres INED ? Institut Nat. Des Études Démographiques). Cela
veut dire qu'un ouvrier qui a travaillé dans des conditions difficiles
toute sa vie ne pourra pas profiter de sa retraite en bonne santé. Un
autre chiffre : un salarié sur dix meurt avant 60 ans (INSEE, septembre
2009).
On veut faire travailler les vieux plus longtemps alors que le pourcentage de
chômeur est élevé. Où est le bon sens ? Officiellement, il y a 2,7 millions de
chômeurs, mais pour être plus complet il faudrait ajouter la catégorie B, celle
ayant exercé une activité réduite de moins de 78h par mois. On atteint alors le
chiffre de 3,97 millions de chômeurs. Tous ces chômeurs sont un
coût pour l'État. Au lieu de s'en prendre aux retraités, le gouvernement devrait
d'abord bâtir un véritable programme pour l'emploi sans pour autant faire des
réformes paupérisant les travailleurs en commençant par conserver les postes
dans les services publics.
Pourquoi vouloir dégraisser le personnel du service public avec tout ce
chômage ? Ne serait-il pas plus efficace de maintenir les emplois afin de
stopper sa progression ? Une personne qui travaille va mieux consommer qu'un
chômeur. La consommation des ménages est un des facteurs d'une bonne croissance.
La croissance est le point essentiel d'une économie capitaliste, quand elle est
forte l'embauche l'est également. Tout cela permet à un pays comme la France de
s'enrichir et en théorie permettre de mettre en place des programmes pour
assurer l'égalité et le bien-être de ses citoyens. Alors, pourquoi ne pas tenter
d'éradiquer ce chômage de masse au lieu de s'en prendre aux retraites ?
La défiscalisation de ces 10 dernières années
Depuis une dizaine d'années la France par le biais de différentes lois on
fait baisser les impôts. C'est Jospin qui a ouvert le bal avec des
baisses de prélèvements massives sur les impôts d'État, charges sociales, impôts
locaux. Ce manque à gagner s'est répercuté sur les collectivités
territoriales et la caisse de la sécurité sociale.
En 2006, le gouvernement Villepin (qui reste à l'écart du débat des
retraites) a mis en place le bouclier fiscal. Il permettait aux grandes fortunes
de ne pas être imputées de plus de 60% de ses revenus en impôts directs. À son
arrivée au pouvoir, la première mesure phare de Sarkozy sera de le descendre à
50%. Le but de cette mesure était de stopper l'évasion fiscale. Bien qu'en 2006
et 2007 il y a eu moins de départs et plus de retour, la tendance s'est à
nouveau inversée depuis 2008. En 4 ans d'activités, le bouclier
fiscal a couté plus de 2 milliards d'euros à l'État. En 2009,
18 764 personnes en bénéficiaient.
L'aménagement du bouclier fiscal faisait partie de la loi en faveur du
travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (TEPA) ayant pour but de combattre le
chômage et les évasions des grands capitaux. Son coût total, estimé à 15
milliards d'euros, a permis la création d'une nouvelle niche fiscale. En effet
l'émission de radio de France Inter Là-bas s'y j'y suis
a réalisé un reportage sur le monde hippique à Chantilly (Ville qui a
pour maire Éric Woerth). L'enquête expliquait comment la loi TEPA
permettait la création de sociétés-écrans pour défiscaliser les revenus
investis. Par ailleurs, Le Figaro a évoqué une étude sur la défiscalisation des heures supplémentaires,
incluse dans la loi TEPA, qui disait que les heures supplémentaires ont
profité majoritairement aux cadres, techniciens et professions artistiques et
non aux employés non qualifiés, la catégorie la plus touchée par le
problème du pouvoir d'achat.
La Loi TEPA a donc privilégié les plus fortunés leur permettant de continuer
à fructifier leur argent, alors que l'État, qui avec ses caisses vides,
trouve par le biais des retraites, une nouvelle solution pour dépouiller les
acquis sociaux des plus précaires et des moins fortunés pour tenter de les
remplir. Même le RSA, mesure la plus sociale de la Loi TEPA, est
critiqué après 1 an de mise en service. Le nombre de personnes en
bénéficiant est très inférieur à celui espéré.
Enfin en juillet 2009, la TVA dans la restauration est passée de 19,6%
à 5,5%. Le but était d'embaucher du personnel et de baisser les prix.
Mais les restaurateurs n'ont pas joué le jeu. Les
prix ont baissé deux fois moins que prévu et il y a eu moins d'embauche
qu'espéré. En revanche, les chiffres d'affaires des restaurants
ont augmenté. Cette mesure coûte 3 milliards d'euros à l'État par ans.
Avec sa défiscalisation massive, l'État perd énormément d'argent. Au lieu de
revenir sur ses décisions, ce qui serait un aveu d'échec, il tente alors de
résoudre ses problèmes d'argents en prenant dans ce qui rapporte le plus à
court terme : le démantèlement de la fonction publique et du système social.
Solutions alternatives
La réforme des retraites actuelle à terme, à pour but de favoriser la
retraite par capitalisation (voir plus bas). C'est
ce système qui est privilégié aux États-Unis avec ces conséquences : pas de
retraite pour les plus pauvres. En opposition, la répartition est une caisse
solidaire financée par les actifs et redistribuée aux retraités qui bénéficie
alors au moins du minimum vieillesse (708,95 euros au 1er avril 2010).
Le discours du gouvernement stigmatise la retraite par répartition en disant
qu'elle coûte cher. Pourtant, il existe des solutions de financements
différentes celle de la réforme, sans toucher une fois de plus aux caisses de
l'État.
(texte
repris du site Eco 89)
- Faire payer les retraités aisés : la fondation Terra
Nova a proposé cette solution iconoclaste, le niveau de vie moyen des retraités
étant légèrement supérieur à celui des actifs (106%). Le PS juge cette voie
politiquement explosive.
- Imposer les revenus du capital et les grandes entreprises.
C'est la solution privilégiée par le PS qui propose de trouver ainsi 19
milliards d'euros :
- Une augmentation de la Contribution sociale généralisée (impôt qui
participe au financement de la sécurité sociale) sur les revenus du capital (7
milliards d'euros)
- Une contribution majorée sur leur valeur ajoutée (7 milliards)
- Le reste sera fourni par la taxation des stock-options et de
l'intéressement
- Une surtaxe d'impôt sur les sociétés de 15% sur les établissements
financiers serait attribuée au le fonds de réserve.)
Bernard Friot (professeur, sociologue et économiste affilié au PCF) a écrit
un livre paru en avril 2010 intitulé "l'enjeu des retraites". Voici la
présentation de l'éditeur :
"Les réformateurs et la plupart des opposants à la réforme
actuelle des retraites, malgré leurs divergences, fondent leur diagnostic du
prétendu " problème des retraites " sur les mêmes présupposés nous subirions un
choc démographique, il serait impossible d'augmenter les cotisations qui
alimentent les retraites, c'est un prélèvement sur la valeur produite par les
actifs qui financerait les pensions, la justice voudrait que le montant des
pensions soit déterminé par la somme des cotisations versées du temps de son
activité. etc. Cet ouvrage répond à ces arguments et propose une tout autre
analyse. Et si le problème démographique était une illusion ? Et si les
pensions de retraite n'étaient pas un revenu différé mais un salaire continué.
Lié à la qualification ? Et si les retraités n'étaient pas des inactifs,
comme le veut la statistique, mais des personnes différemment actives, enfin
libres de travailler à l'écart du marché du travail ? L'enjeu des retraites
c'est d'abord reconnaître et prolonger l'indéniable réussite humaine et
politique des retraites. C'est également mettre en débat le statut du salaire et
de la qualification pour tous, ainsi que le rapport au travail que nous voulons
promouvoir. C'est seulement en posant de telles questions fondamentales que l'on
pourra renouer avec les objectifs progressistes qui ont mené au système actuel
et ouvrir une alternative sérieuse à la réforme en cours."
Résumé des points essentiels de son raisonnement en sept propositions
: cliquer
ici.
Vidéo d'une conférence sur l'enjeu des retraites (à Vannes le 11/06/2010)
:
La retraite par
capitalisation
La retraite par capitalisation semble être le but caché de cette réforme. En
mai 2010, Laurence Parisot, la patronne du MEDEF disait vouloir un "nouveau
dispositif très incitatif, voire obligatoire, de système de retraite par
capitalisation". Récemment, Médiapart
a révélé que la réforme "va conduire à l'asphyxie financière des grands
régimes par répartition" et sera donc "propice à l'éclosion de ces grands fonds
de pension qui n'étaient pas encore parvenus à s'acclimater en France, à
quelques rares exceptions près". Le groupe Malakoff Médéric, dont le
délégué général est Guillaume Sarkozy, le frère du président, en
profiterait.
Le danger de la retraite par capitalisation est qu'en cas de baisse de la
bourse ou de crise financière le jour où l'on voudra récupérer
notre capital épargné, celui-ci peut être perdu en partie ou
totalement.
Vidéo en deux parties expliquant le problème des retraites sur un ton
humoristique :
Pour conclure
Les grèves et les journées de mobilisation bloquent le pays et ont pris
énormément d'ampleur. Malgré les désagréments causés, elles ne sont pas mal
perçues par la population, puisqu'e le 22 octobre, 69%
des Français soutenaient les manifestants et les grévistes. On peut donc
espérer que la situation se maintient en l'état encore plusieurs
jours.
J'ai un regret dans tout cela. Une fois de plus, les
médias préfèrent diffuser l'image de voitures renversées, parler
des casseurs, faire une bataille de chiffres sur le nombre de manifestants,
au lieu de confronter les différentes solutions proposées pour résoudre le
"problème" des retraites. Les médias privilégient le sensationnel avec
des images-chocs ou des débats stériles telle la légitimité des lycéens dans la
manifestation. Pendant ce temps, le fond n'est plus vraiment évoqué. En fait,
on ne parle plus des retraites.
Aussi, bien que ce soit symbolique,
je me questionne sur le refus de nos parlementaires de modifier leur
système de retraite. Depuis cet été, il leur est interdit de cumuler une
retraite et un salaire à taux pleins. Mais il subsiste des privilèges tels
une retraite exonérée d'impôt et de CSG (pour un élu local) ou le cumul de
retraites s'il a eu plusieurs fonctions différentes (haut fonctionnaire
cumulé à celle de membre du Conseil constitutionnel par exemple). Ce n'est pas
avec l'argent que l'on récolterait avec une réforme de leur système de retraite
que l'on pourra financer notre système de retraite. En revanche, ce
serait symbolique. Nos dirigeants participeraient à l'effort national aux
côtés de ses citoyens.
De toute façon, quelle que soit l'issue de la
confrontation, le gouvernement a perdu toute crédibilité en refusant le débat et
en ne voulant pas écouter ses citoyens. Nos "représentants" au sein du
gouvernement ne doivent-ils pas mettre en place ce à quoi le
peuple aspire ?
Au-delà du débat pour ou contre la réforme, le conflit social est devenu un
débat idéologique entre la volonté de prendre l'argent des citoyens
(le gouvernement) ou du capital (les opposants à la réforme), entre laisser
l'argent aux mains de privilégiés et supprimer les maigres privilèges de la
population obtenue de dure lutte.
En fait, c'est une lutte des classes.
Voici quelques liens qui m'ont permis de réaliser cet article :