Roberto Di Cosmo - La face cachée de Microsoft

Roberto Di Cosmo - La face cachée de MicrosoftSuite à la sortie du texte «Piège dans le Cyberespace»1de Roberto Di Cosmo2, Dominique Nora, journaliste au Nouvel Observateur, préparant un dossier sur le sujet, a voulu s'entretenir avec lui. Ce texte critiquait fermement la politique de monopole menée par Microsoft.

L'auteur

Roberto Di Cosmo est né en 1963. Il est diplômé de la Scuola Normale Superiore de Pise, et a soutenu se thèse de doctorat à l'université de Pise, avant de devenir maître de conférences en informatique à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, puis professeur à l'Université Paris 7 dans l'UFR d'informatique.

Il est membre de l'AFUL (association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres), et participe régulièrement à des conférences sur les logiciels libres. Il a contribué à la diffusion de la première distribution « live » de Linux, DemoLinux3.

Le 5 décembre 2006, Thierry Breton, ministre de l'Économie et des Finances, nomme Roberto Di Cosmo président d'un bureau chargé d'étudier l'élaboration d'un pôle de compétitivité dédié aux Logiciels libres. Le projet a pour ambition de faire de l'Île-de-France une référence mondiale pour la recherche, le développement et l'édition de Logiciels libres.

La réussite de Microsoft

La petite histoire

Dans le début des années 1970, les ordinateurs équipaient principalement les grandes entreprises, les gouvernements... Les ordinateurs prenaient trop de place, n'avaient pas d'intérêt réel pour le grand public. Mais le projet de conquête de l'espace a obligé à miniaturiser les composants des ordinateurs, qui progressivement, ont été disponibles au grand public. L'émergence et le succès de ses Personal Computer, comme l'Apple II, a fait réagir IBM le géant de l'informatique de l'époque. Celui-ci ne croyait pas vraiment en ces PC. Il a donc fait appel à d'autres sociétés pour mettre en place un nouvel ordinateur, alors habituellement c'est lui qui équipait intégralement ses machines. Il a donc sollicité le service de deux jeunes sociétés, Intel pour le processeur et Microsoft pour le système d'exploitation. Ce système d'exploitation est le MS-Dos. Là encore aucune invention. L'entreprise a racheté les droits de la PME Seattle Computer et l'a renommé. IBM étant considéré comme un gage de qualité, ces ordinateurs se sont vendu facilement, alors que déjà ils étaient de moins bonne qualité que les Apple II. Ne prenant toujours pas l'industrie des PC au sérieux, IBM ne s'est pas pris la peine de racheter le MS-Dos qui deviendra plus tard Windows.

Microsoft ne s'est pas arrêtée là :

- En 1995 il achète les droits du navigateur Internet Mosaïc de la société Spyglass, qui deviendra Internet Explorer.

- En 1998, il achète Hotmail un serveur gratuit de courrier électronique, qui depuis peu il se nomme Live Mail.

- En 1998, il recrute Dave Cluter qui a conçu Windows NT, dont les nouvelles versions sont Windows XP et Windows Vista.

- En 2004, il rachète la société GIANT Software Company, éditrice de l'un des meilleurs logiciels antiespions du marché, qu'il renomme Windows Defender.

Bien sur Microsoft y apporte des nouveautés, mais n'innove en rien.

Quelques chiffres

Roberto Di Cosmo nous avance quelques chiffres de 1998 :

- 85 % des utilisateurs d'ordinateurs utilisent Windows.

- Microsoft réalise 41 % du chiffre d'affaires des dix premiers éditeurs mondiaux de Logiciels.

- les ordinateurs Wintel, c'est à dire des ordinateurs équipés de Windows et de puces Intel domine 90 % du marché.

- 55 % des internautes utilisent Internet Explorer.

Pour des chiffres plus actuels, la société d'audience Internet Xiti a relevé au mois de début 20074 que les internautes auditionnés étaient à 95,6 % équipés de Windows.

En ce qui concerne les navigateurs Internet, 79,75 % des utilisateurs se sont connectés avec Internet Explorer en janvier 20075.

Bill Gates et Paul Allen sont respectivement premiers et sixièmes des hommes les plus riches de la planète.

Le monopole d'un Big Brother ?

Rachat ou copie de la concurrence

Microsoft rachète les sociétés qui réalisent de bons logiciels puisqu’il a tardé à avoir un département de recherche digne de ce nom. Il préfère racheter des entreprises dans des domaines bien précis pour conquérir un nouveau marché. Et quand il créé lui même les logiciels comme Word ou Excel, il rachète les sociétés qui créé des nouvelles fonctionnalités comme un correcteur d'orthographe. Pire même il rachète même des produits concurrent qu'il laisse à l'abandon.

Après rachat, les nouveautés apportées par Microsoft sont des copies comme le Windows 3.0 dont le modèle était un logiciel d'Apple ou plus récemment les gadgets de Windows Vista qui ne sont que la copie de Widget de Mac OSX.



Acheter toujours plus

Les logiciels de Microsoft deviennent de plus en plus gourmands. Cela est dû à la multiplicité des fonctions ajoutée aux applications. Pourtant, il est prouvé que la plupart ne sont pas ou peu utilisées. Normalement, un bon logiciel ne doit pas demander beaucoup plus de puissance pour une mise à jour. Mais comme les logiciels de Microsoft ne sont pas bien écrits, et que vu la longueur pour un logiciel comme Windows 95 (plus de dix millions de lignes de codes), il est presque impensable de le réécrire en entier. Le logiciel devient alors plus gourmand en puissance, il faut donc changer d'ordinateur, alors que pour écrire un CV la méthode reste la même. Cela n'est pas innocent non plus de la part de Microsoft. Les chiffres parlent d'eux même les PC Wintel, dominent 90 % du marché (en 1998). Intel fabrique des puces de plus en plus puissantes, Microsoft rabique la demande.

Un dictat

Microsoft profite de sa notoriété et son image de marque imposer ses logiciels. Il oblige les fabricants d'ordinateurs à équiper ceux-ci de Windows. S’ils ne le font pas, ils devront acheter les licences des logiciels plus chers. Comme les clients préfèrent acheter Windows, ils préfèrent obéir. Le problème dans ce cas présent, c'est que ce chantage tue la concurrence, puisque personne ne va oser installer un logiciel comme Linux. Et le consommateur ne peut plus choisir ce qu'il désire.

Si l'on veut acheter le traitement de texte Word, on doit acheter aussi tous les logiciels de la suite Office et même si on ne va pas s'en servir. Ainsi, il continue l'expansion de ses logiciels dans les ordinateurs.

Des défauts

Microsoft a le don de pervertir la réalité. Par exemple le besoin de défragmenter son disque dur. C'est le seul système d'exploitation qui en a besoin, les autres ont un système de gestions des fichiers qui se fait proprement. Et il en fait la louange alors que si Windows était bien conçu il n’existerait pas.

Windows est la cible d'innombrable virus. Pourtant, il y a eu des mises en garde, notamment à la lecture des mails. Avant Windows 98 et le nouvel Outlook, il était presque impossible en les lisant d'avoir des virus. Des chercheurs l'ayant testé avaient posé le problème, mais il n'y a pas eu de réactions. Et ce n'est pas la seule mise en garde notamment au niveau de l'édition des fichiers de système. Avant Windows XP on pouvait les modifier comme on voulait, il n'y avait pas de droits à avoir et les virus y allaient à coeur. Microsoft tarde à corriger ses erreurs.

Quand on vend un produit, il vaut mieux le sortir avant ses concurrents. Dans le monde du logiciel, c'est la même chose. Microsoft préfère sortir ces logiciels même s’ils ne sont pas finis. Résultat, des logiciels qui fonctionnent mal. Ce fut le cas pour la sortie de Windows 3.0, et plus proche de nous, Millenium qui devait sortir pour l'an 2000 à tout prix, mais qui était une catastrophe au niveau de la stabilité.

Appropriation des standards

Microsoft oblige à utiliser ses produits. Il est en position dominante puisqu'il est présent sur la plupart des ordinateurs de la planète. Il intègre donc ses propres logiciels avec Windows comme ça les gens les utilisent sans savoir qu'il en existe d'autres et souvent meilleurs. Par exemple, Microsoft a convaincu que le logiciel standard du Web était Internet Explorer et qu'il fallait optimiser nos pages web en fonction de ce que va afficher Internet Explorer. Si bien que quand on va sur un site avec un logiciel concurrent les pages ne s'affichent pas correctement. Mais depuis la version sept d'Internet Explorer, il semblerait qu'il y ait une meilleure compatibilité (peut-être sous la pression montante de Mozilla Firefox).

Internet fonctionne avec des langages de programmation et des logiciels ouverts, pour la plupart. Mais si Microsoft arrive à imposer ses produits, on pourrait se retrouver dans une situation où tous les produits non Microsoft devrait être remplacés, pour incompatibilité. Les utilisateurs ne pourront plus choisir le produit qui leur convient le mieux pour leurs activités, ils n'auront pas forcément accès aux meilleurs logiciels, et au niveau de la vie privée il peut y avoir des abus. Rien ne nous dit qu'il n'y aura pas de logiciels espions qui enverront des informations personnelles destinées à des fins publicitaires. Ces données seront traitées et classées et pourront connaître nos goûts pour nous proposer tout un tas de services. « Les entreprises [...] expliquent que c'est pour notre bien : pour devancer nos désirs... Mais veut-on réellement se laisser déposséder de notre libre abrite au nom de cet “angélisme” marchand ? » (p23)

- Il y a aussi le format Word. Il est normalement interdit de le décrypter pour pouvoir le modifier comme c'est le cas pour OpenOffice. Mais en 1998, alors que la concurrence du logiciel libre n'existait pas vraiment, quand on voulait transférer un document d'un ordinateur avec Mac OS ou Linux, on ne pouvait pas lire ce qui avait été écrit dans Word. Di Cosmo raconte que le laboratoire où il travaillait a dû acheter un PC avec Windows 95 et la suite Office pour pouvoir lire des documents que leur avait envoyés la Commission européenne.

À cette époque, les enjeux des standards n’étaient pas mis en avant. Aujourd'hui, il y a eu une prise de conscience, notamment l'Union européenne, qui va utiliser le format Open Document6, un format ouvert libre par tous, même par Word, puisque Microsoft vient de proposer un programme qui permet de le lire7. Malgré cela, Microsoft a créé son propre format, l'OpenXML8 qui n'autorise pas les logiciels libres à l'utiliser sans acquisition de licence.


Microsoft et l'éducation

À l'assaut des écoliers !

Microsoft a tardé avant d'avoir un pôle de recherche digne de ce nom (1995). Il préférait piller les petites entreprises au lieu d'innover. Le but est de se donner une bonne image dans la communauté scientifique.

Ensuite, il fallait prendre d'assaut l'école, et en particulier les universités. Pour cela, il a fait des dons à des écoles. En 1997, il lance « Gr@ine de multimédia »9 en partenariat avec Hewlett Pakard. Ce dernier mettait à disposition de onze écoles primaires des ordinateurs, ce qui lui coûtait vraiment de l'argent, tandis que la firme de Redmond met à dispositions pour 2,5 millions de logiciels. Ce chiffre paraît impression, mais par rapport à Hewlett Pakard, ça ne leur coûte pas énormément d'argent de dupliquer des CD. Outre le fait qu'il ne dépense pas grand-chose dans l'histoire, il est perçu comme un généreux donateur et, le plus sournois, il initie de futurs utilisateurs d'ordinateurs de demain à ses des produits. Au point de vu marketing, c'est tout bénéfice, puisqu'il habitue des personnes à ses produits, qui auront plus de mal à faire l'effort d'essayer autre chose.

Autre action dans les milieux scolaires avec « Compétence 2000 » où il propose un programme de formation et de certification Microsoft pour les étudiants de l'université et des IUT. Outre le fait que ces formations ne permettent pas « d'atteindre des résultats déterminés », l'utilité de certaines questions pour réussir l'examen n’est pas très perspicace : « Quelle quantité d'espace disque faut-il pour installer la version complète du client Exchange Server pour Windows NT ou Windows 95 ? » Mais heureusement, l'Éducation nationale et les professeurs n'y ont pas prêté beaucoup d'attentions.

En octobre 1997, le gouvernement suisse met à disposition deux mille cinq cents vieux ordinateurs inutilisés et Microsoft des licences de Windows 95 et d'Internet Explorer ainsi que des formations à six cents éducateurs à l'utilisation de l'ordinateur. Mais comme les PC n'étaient pas assez puissants pour faire tourner Windows 95, le projet a été abandonné. S’ils avaient installé un Linux, comme il a besoin de moins de ressources, il aurait fonctionné et cela aurait pu profiter à de nombreux écoliers, pour presque rien.

Libre Arbitre

Di Cosmo donne cette définition de l'école : « La mission de l’école et de l’Université est de fournir aux jeunes une formation durable et à long terme, donc de haut niveau. De leur permettre de faire ce qui leur deviendra impossible en entreprise : toucher à nombre d’outils différents, sans s’attacher à aucun. Donc de développer cette capacité d’analyse critique qui les rendra compétents dans leur domaine (qu’il s’agisse ou pas d’informatique) ».

Microsoft ne s'est pas attaquée immédiatement au milieu scolaire, « À l’École normale supérieure comme ailleurs, il y a des étudiants et des enseignants, dont la raison d’être est d’étudier les problèmes fondamentaux de l’informatique, sans se soucier de l’image de marque de telle ou telle entreprise. Ici, on s’intéresse au “comment” il faut résoudre les problèmes, et pas au “combien” d’argent on peut gagner en saucissonnant les solutions pour maximiser les profits. »

L'école doit accepter toutes les entreprises qui désirent promouvoir leurs logiciels sans en imposer leur utilisation. S’ils sont bons, ils seront utilisés. Il faut aussi laisser aux utilisateurs leur liberté de choisir ce qu'ils vont utiliser. Pour cela, il faut qu'ils puissent utiliser les logiciels de tout le monde et non d'un seul. Il ne faut pas que les élèves deviennent des promoteurs de telle ou telle entreprise.

Conclusion

Aujourd'hui, Microsoft vient de sortir une nouvelle version de Windows et de sa suite Office. Le premier est présenté comme une révolution alors qu'il n'apporte rien de réellement nouveau. Beaucoup de ces « nouveautés » ont été copiées chez sont concurrent de toujours, Apple. L'histoire se répète puisque tous les fabricants vont installer ce nouveau jouet et maintiendra Microsoft dans sa position de numéro un du marché de l'informatique.

Une version numérique de ce livre est disponible ici :

http://www.dicosmo.org/HoldUp/


1 http://www.pps.jussieu.fr/~dicosmo/Piege/cybersnare/piege.html

2 http///www.dicosmo.org

3 http://demolinux.org/

4 http://www.xitimonitor.com/fr-fr/technique/systemes-d-exploitation-fevrier-2007/index-1-1-3-73.html

5 http://www.generation-nt.com/actualites/24567/net-applications-classement-navigateurs-web-janvier-internet-explorer-firefox-safari-netscape-opera-mozilla

6 http://fr.wikipedia.org/wiki/OpenDocument

7 http://sourceforge.net/projects/odf-converter/

8 http://fr.wikipedia.org/wiki/Open_XML

9 http://www.microsoft.com/france/citoyennete/actions/evasion/rencontre.asp

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